I. Présentation
Qui n’a jamais collectionné quelque chose dans sa vie ? Qui n’a jamais espéré compléter sa collection d’aimants des départements français en cadeau dans des boites de cordon bleu ou le dernier jouet à la mode d’une célèbre marque de fast food ou d’un célèbre fabricant de céréales ?
Mais revenons un peu en arrière pour définir ce qu’est une collection et son histoire. Collectionner, c’est réunir. Réunir, c’est regrouper ce qui était dispersé. Le collectionneur réunit donc des objets d’un même thème dans le but qu’un jour cette dispersion n’ait plus lieu d’être. La réunion finale, finir une collection. Le collectionneur est donc une personne se faisant fort de grouper l’ingroupable de créer un ordre à l’univers qui l’entoure. Une collection est donc un regroupement d’objets naturels ou artificiels sur un même thème dont l’activité consiste à réunir, entretenir et gérer ce regroupement.
Il faut remonter au Moustérien (entre -350 000 et -30 000 ans av. J.-C.), avec l’homme de Néandertal, pour retrouver les premières traces d’une collection : des blocs de pyrites de fer, un polypier fossile et une coquille de gastéropode gardés ensemble dans la grotte du Renne à Arcy-sur-Cure en Bourgogne. Les Néandertaliens transportaient ces curiosités naturelles, longtemps considérées comme les premières évidences des activités symboliques et figuratives.
Viennent ensuite la préhistoire, l’époque des pharaons (tombes ou pyramides) ou l’époque Babylonienne (jardin de Babylone) où la collection était principalement représentée sous la forme d’hommage ou de butin, comme un signe de possession.
Il faut cependant attendre la Renaissance avec le cabinet des curiosités pour véritablement voir les premiers signes tangibles d’une collection. Nommés studiolo en italien ou Wunderkammer en allemand, ces endroits proposent des collections naturelles (minerais, animaux ou végétaux), artificiels (objets archéologiques, œuvres d’art), scientifiques (instruments et automates) ou exotiques (plantes, animaux ou objets ethnographiques).
L’une de leurs fonctions était de faire découvrir le monde, y compris lointain (dans le temps et l’espace), de mieux le comprendre ou de confirmer des croyances de l’époque. Ils sont les ancêtres des musées d’histoire naturelle modernes.
L’engouement pour la collection à cette époque est appelé par les historiens italiens le « collectionnisme », qui est une activité humaine de collecte d’objets dans un but d’accumulation, qui rend le sujet lui-même malheureux face à une passion qui le dévore. Elle peut être une activité à tendance pathologique ou une activité humaine normale. Dans la pratique contemporaine, le collectionnisme peut également correspondre à un besoin de reconnaissance sociale ou bien déboucher sous la forme d’un mécénat, ou encore correspondre à un calcul pour des placements financiers pouvant être rentables et peu imposables.
De tout temps, l’objet collectionné l’était en fonction d’un contexte social et historique dans lequel évoluait le collectionneur. Il a toujours été un phénomène de société. Du philatéliste qui collectionne les timbres en passant par le calcéologiste qui collectionne les chaussures, ou encore le molubdotémophile collectionnant les taille-crayons, chacun y trouve son compte et collectionne très souvent de manière passionnée. Cependant un événement soudain va bouleverser le monde de la collection : le Covid-19.
II. La nostalgie
Pour l’écrivain Neil Bissondah, « la nostalgie vient quand le présent n’est plus à la hauteur des promesses du passé ». Le Covid-19 a eu un impact incroyable sur nos sociétés. Mettons tout de suite de côté l’aspect tragique du virus pour se concentrer sur notre comportement nostalgique face aux différents confinements que le monde a connu :
- Un grand nombre de personnes confinées ont ainsi pu retrouver une partie de leurs anciennes collections (cartes, Lego, jouets vintage, BD, DVD…) ou en commencer une. Les enfants d’hier étant les acheteurs d’aujourd’hui avec un pouvoir d’achat permettant de collectionner, ces derniers, avec du temps devant eux, ont pu se plonger, se replonger ou se recentrer sur quelque chose qui leur parle, qui les rassure et qui évoque en eux un sentiment de bien-être (collection d’enfance). Cette période très anxiogène a fait naître chez bon nombre d’entre nous un besoin de repères et de valeurs que la collection et la nostalgie de cette dernière pouvait leur apporter (discuter et partager avec d’autres collectionneurs).
- Le besoin de combler un manque : comme expliqué plus haut, le besoin de rechercher de la nostalgie a permis aux nouveaux comme aux anciens collectionneurs de combler un manque. Il y a du vide à combler (ne plus voir sa famille, rester coincé chez soi…). L’homme investit son temps et son argent à la recherche d’objets divers dans l’espoir de combler ces manques. C’est un fantasme auquel il s’accroche en se doutant bien du fait qu’il n’est pas réalisable pour la simple raison que ce qui manque à l’homme est incomblable (immatériel).
III. La société de consommation
C’est sur ce manque que repose notre société de consommation. En ces temps de pandémie, la publicité et la médiatisation du phénomène de la collection ont été omniprésents dans nos foyers et trois moyens de communication ont été déterminants pour expliquer le boom de la collection :
1/ La presse numérique : A l’instar de la presse papier qui a vu ses ventes drastiquement chuter, la presse numérique a publié bon nombre d’articles sur différents phénomènes de société comme par exemple les Pokémon, les Lego ou Dragon Ball pour ne citer qu’eux, et qui ont participé à l’explosion de la collection.
2/ La télévision : Elle a essayé à son tour de profiter de l’engouement en proposant çà et là des reportages sur différentes icônes de la société comme TF1 ou TV5 Monde et leurs reportages sur les cartes Pokémon.
Le groupe Canal + avec son service de streaming « Mycanal » a également proposé une toute nouvelle émission télé en Décembre 2020 nommée Clique Collec, présentée par Sébastien-Abdelhamid, présentant les icônes de la pop culture à travers différents points de vue (collection, culturel, historique et social). On y retrouve les Tortues Ninja, les sneakers, Saint Seiya, ou encore les cartes à jouer. L’émission est plébiscitée et les intervenants de qualité. De quoi donner envie de reprendre ou de commencer une collection.
3/ Les réseaux sociaux et plateformes de vidéo : Ils ont été les principaux moyens de communications pendant les différents confinements. Que ça soit sur Twitter, Facebook, Instagram, Discord, WhatsApp ou encore YouTube, des millions de personnes ont pu, pendant leur temps libre, trier, répertorier, discuter, échanger, acheter les différents objets de collection sur des groupes et ainsi participer à cette émulation qui a permis à bon nombre de nouveaux collectionneurs de reprendre ou commencer une nouvelle collection. La fréquentation de ces derniers a explosé notamment chez les jeunes, avec une augmentation de +32% en France et de +61% dans le monde. Naviguer sur ces sites est devenu facile, instinctif, banal et habituel pour un bon nombre de personnes.
Le besoin de distraction et la facilité d’accès à tous ces médias et supports fait que le collectionneur a l’embarras du choix et n’est jamais rassasié. Ce qui épuise le collectionneur n’est pas tant ce qu’il possède déjà mais plutôt ce qu’il rêve de posséder. L’objet acquis n’est jamais le bon et le désir se poursuit donc inlassablement, la société de consommation sacralisant l’achat de l’objet comme l’acte ultime. Il est une mode, il s’agit de désirer ce que désire l’autre, notamment par le biais des groupes Facebook ou de la publicité. Une des dérives du collectionneur étant de considérer l’objet comme symbole d’accumulation (je collectionne parce qu’il me les faut tous), alors que l’objet pourrait plutôt être considéré par les sentiments et la satisfaction que ce dernier évoque au sujet (ce qui me lie aux différents objets que je collectionne). Cette dérive d’accumulation peut engendrer deux phénomènes intimement liés entre eux : l’investissement et la spéculation.
IV. La bulle spéculative et l’investissement dans la collection
Pour le collectionneur, l’objet convoité acquiert à ses yeux une aura particulière qui le rend indispensable pour sa propre collection. Il se tourne alors vers un marchand ou un collectionneur pour obtenir le Graal. L’acheteur perd souvent le sens des réalités où plus rien ne compte à part l’objet en lui-même. Ce comportement atypique, ainsi que divers facteurs se mettant en place simultanément (médiatisation, forte demande…), peuvent être à l’origine de bulles spéculatives dont la plus importante concerne une licence connue de tous : Pokémon.
Depuis plus d’un an et à cause des différents confinements, une explosion des prix est constatée dans tous les milieux de la collection : Lego, Dragon Ball, Gundam, les comics, Pokémon. Tout y passe. De célèbres Youtubeurs comme Logan Paul, ou le chanteur Justin Bieber participent à leur manière à cette augmentation des prix en communicant à leurs millions de fans sur leurs envies des cartes Pokémon. Cet effet boule de neige s’accompagne d’une popularisation de ces dernières et donc d’une augmentation de la demande se traduisant par une augmentation des prix.
Il suffit que l’objet soit convoité par un autre pour que celui-ci acquiert une grande valeur. Il y a une relation entre l’objet que l’autre possède et celui que l’acheteur veut acquérir. C’est l’élément moteur du désir. Cette forte attractivité des cartes Pokémon se vérifie sur les sites d’enchères, notamment avec Ebay, qui enregistre une augmentation des annonces de 574% entre 2019 et 2020.
La bulle spéculative doit également être mise en parallèle avec un autre phénomène étroitement liée à elle : l’investissement.
En effet, pour financer sa collection ou tout simplement s’enrichir sur la passion des collectionneurs, certains investissent de plusieurs façons :
- Le placement : certains collectionneurs achètent dans l’optique de revendre derrière et ainsi bénéficier d’une plus-value. Le découragement dû à des prix excessifs, un projet quelconque ou un effet de mode sont autant de raisons qui poussent un collectionneur à revendre sa collection
- La logistique : Pour fabriquer au plus juste, certaines entreprises ont recours à la précommande. Ne pas précommander, c’est s’exposer à une potentielle rupture du produit se traduisant par une augmentation des prix. Un autre effet de la logistique d’un produit concerne sa sortie : en effet, pendant les différents confinements, certains produits ont vu leurs quantités arriver au compte-gouttes (PlayStation 5), se traduisant par une augmentation des prix sur les différents sites de revente.
- Le buy-out : un phénomène de plus en plus fréquent qui consiste le jour de sortie d’un objet, d’acheter tout ou partie du stock et de créer la demande en augmentant les prix.
Deux autres effets sont à prendre en compte lors d’un investissement : l’état du produit et son authenticité. Un produit en parfait état est très demandé et il n’est pas rare que les prix s’envolent pour acquérir l’objet dont l’âge peut se compter en dizaines d’années.
L’authenticité d’un objet est également un point important pour celui voulant investir, à tel point que plusieurs sociétés spécialisées dans l’expertise et la gradation de cartes ont vu le jour, Les trois plus importantes étant BGS, PCA et PSA.
V. Conclusion
Collectionner seul, c’est bien. Collectionner à plusieurs et partager sa passion, c’est mieux. C’est ainsi que pourrait se résumer la conclusion de cet article, même si les sujets abordés vont plus dans le sens de l’individualisme que du partage de la passion. Car il faut bien le dire, au-delà de l’aspect financier c’est bien la passion qui définit quel collectionneur nous sommes. La nostalgie joue un grand rôle dans notre vie et bon nombre de moyens sont mis à notre disposition pour assouvir cette passion, parfois frénétique, qui nous enflamme. Même si le sentiment d’accomplissement est très court comparé à la débauche d’énergie à réunir une collection, le besoin de reconnaissance ou le désir de partager cette dernière nous pousse parfois à accumuler plus que de raison, mais l’essentiel est ailleurs : il faut donner du sens à son plaisir. Le plus important n’est pas l’objet en lui-même mais le chemin pour y arriver.
Tout collectionneur qui vieillit sera un jour ou l’autre confronté à cette problématique : que va devenir ma collection lorsque je ne serai plus là ? La réponse peut être multiple : un don à un musée, un patrimoine pour sa famille ou un passage de témoin à la nouvelle génération. Car quoi de plus beau qu’une collection qui perdure et qui continue dans les yeux d’un autre ? C’est sans doute ça, l’esprit collectionneur.
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