Suis-je has-been ? Un pépé de la Carddass qui admire encore et toujours ses cartes dans une simple sleeve et qui n’a pas encore succombé aux tentations du grading ? Ce phénomène venu des États-Unis au début des années 1990 tend à devenir depuis 2020 une norme, plaçant les spéculateurs au même pied d’égalité que les collectionneurs, soucieux de protéger leurs cartes préférées, ou simplement de les authentifier.
Le sujet est complexe, tant il divise la communauté. Certains y voient une dérive qui prive les collectionneurs les moins fortunés des cartes les plus rares et qui encourage la spéculation. D’autres voient le grading comme un moyen de protection et/ou un moyen d’authentifier une carte tout en lui donnant une note (de 1 à 10) qui déterminera sa valeur, si l’envie de s’en séparer s’en faisait sentir.
Historique du grading
Il faut dire que le grading ne date pas d’hier. En effet, en 1984, Alan Hager fonde la première société de gradation, ASA (Accugrade Sportscard Authentication) et est également à l’origine du brevet des boîtiers que PSA et les autres reprendront par la suite.
En 1991, PSA (Professional Sports Authenticator) voit le jour et s’impose au fil des années comme le leader du plus grand service d’authentification et de notation de cartes à collectionner, d’autographes et de souvenirs au monde. Trois autres sociétés de gradation lui emboiteront le pas : SCG (Sportscard Guaranty Corporation) en juillet 1998, Beckett Grading Service fondée en 1999 par James Beckett, le fondateur quinze ans plus tôt de quatre magazines sur les cartes de sport (basket-ball, baseball, football américain et hockey sur glace) ainsi qu’un magazine sur les monnaies et un sur les pierres précieuses, tous très apprécié des collectionneurs en dernier et GAI (Global Authentication Inc) au début des années 2000.
Ces quatre sociétés composent Big Four.
D’autres sociétés de gradation verront le jour sans pour autant connaitre le même rayonnement que les quatre présentées plus haut. On pourra par exemple citer CSG (Certified Sports Guaranty), Arena Club ou plus près de chez nous en Europe avec MTG (Magic: The Gathering), spécialisée dans le grading de cartes Magic, ou encore PCA (Professional Cards Authenticator), entreprise basée en France.
Parallèlement aux sociétés de grading, il convient de parler d’Upper Deck, compagnie américaine de fabrication de cartes à collectionner de sports, principalement dans le baseball, le football américain, le basket-ball et le hockey sur glace. Fondée en 1988, l’entreprise obtient la même année (le 23 décembre 1988) une licence auprès de la MLB (Major League of Baseball), pour produire des cartes de ce sport. Upper Deck révolutionnera la collection de cartes en général, en proposant pour ses collections des années 1990 des cartes à série limitées avec autographes de joueurs, ainsi que des séries limitées et numérotées de joueurs superstars, plus communément appelés inserts. Upper Deck continuera d’innover en proposant d’autres concepts de cartes comme les die cut ou les rookie cards et deviendra la première société de cartes à obtenir, dès 1990, les quatre grands sports américains.
Cet essor des cartes à collectionner perdurera sur l’ensemble des années 1990 et certaines licences très connues (Magic: The Gathering en 1993 et Pokémon en 1999) participeront à l’effort de guerre. Les sociétés de gradation profitent également de l’explosion du marché des cartes à collectionner, notamment PSA qui, entre 1991 et 1998, gradera un million de cartes et qui, après 1998, en gradera entre un et deux millions par an, pour atteindre un total de plusieurs dizaines de millions de cartes gradées depuis 1991 (en 32 ans donc).
On constate que le marché du grading concerne principalement le marché américain avec les sports US et automobiles (à l’exception de Pokémon). Cependant, un événement va accélérer le grading et ouvrir des marchés jusque-là plus discrets : le Covid-19.
Le grading de 2020 à aujourd’hui
Comme expliqué dans un précédent article sur le site (La collection déconfinée), la crise du Covid-19 va plonger le monde entier dans un ralentissement (plus ou moins apprécié selon les populations), qui verra des centaines de millions de personnes confinées chez elles. Ces dernières, pour garder le moral, se replongent dans des loisirs réconfortants et nostalgiques et beaucoup retrouvent leur vieille collection d’enfance (cartes, jouets, livres…) Le boom des sites de ventes en ligne et des sites communautaires (YouTube, Facebook, Twitter, Instagram…), où des influenceurs comme Logan Paul, suivi par des millions de personnes, se découvrent des passions pour les cartes Pokémon, participe à l’augmentation des demandes de gradation, certains y voyant une manne financière à portée de main, facile à revendre tout en faisant des bénéfices. La licence Pokemon y est pour beaucoup tant et si bien que le marché asiatique pour cette licence bascule naturellement dans le grading (les americains étant également friands des cartes japonaises de la licence).
Les sociétés de grading s’adaptent à cette demande en mettant au point des techniques de gradation plus poussées (scanners, ordinateurs…) Là où, dans les années 1990, l’œil, la loupe et la lampe composaient les outils indispensables des salariés de ces entreprises, à l’heure actuelle il en est tout autre. Grader ses cartes c’est du sérieux et il n’est plus question de le faire à la légère. La conséquence étant qu’obtenir un 10 (parfait), est de plus en plus difficile aujourd’hui.
On observe également une autre façon de collectionner. Là où, à l’époque, le fait de collectionner suffisait à notre bonheur, on observe petit à petit et de plus en plus un virage s’orientant sur la collection business. Il n’est pas rare de voir des vendeurs qui n’ont à la base aucun attrait à la collection acheter en grosse quantité et grader les cartes les plus rares pour pouvoir réinvestir derrière sur d’autres loisirs. Cette pratique est d’ailleurs complètement assumée de leur part. On investit dans une collection comme on investirait dans un bien immobilier ou dans le marché de l’art. C’est un pari sur l’avenir, surtout en cette période d’incertitude financière.
Grader ses cartes permet également d’apporter une valeur supplémentaire. Le fait de grader sa carte notamment chez un du Big Four (PSA, Beckett, SCG et GAI) est un gage de confiance qui permettra à la carte de se vendre plus cher et il n’est pas rare que le record de la carte la plus chère du monde soit battu.
La carte 1952 Topps de Mickey Mantle, gradée 9,5 par SCG s’est vendue 12,5 millions de dollars en août 2022, devenant la carte la plus chère du monde tous sports confondus.
La T206 d’Honus Wagner, produite par American Tobacco entre 1909 et 1911 et gradée PSA 2 a été vendue pour 7,25 millions de dollars en 2022.
La Rookie card signée de Stephen Curry de 2009 gradée PSA 8 a été vendue pour 5,9 millions de dollars en 2021, devenant la carte de basket la plus chère du monde.
Tous ces prix montrent que la collection est devenue un business et qu’il est devenu de plus en plus difficile pour les collectionneurs avec des moyens plus modestes de se faire plaisir. Il est vrai que les exemples cités plus haut peuvent paraitre inatteignables pour le commun des mortels tant ces cartes sont rares et exceptionnelles. Cependant, il est à remarquer que toutes ces ventes gradées sont survenues après 2020 et la crise du Covid-19, laissant à penser que le marché de la collection et du grading sont dans une bulle spéculative qui échappe à toute logique.
Néanmoins, des solutions alternatives existent comme la société Cardslabel qui permet de personnaliser ses boîtiers de protection sans grading, tout en proposant un produit de qualité laissant respirer la carte sans l’emprisonner dans son écrin en polycarbonate. On est là pour protéger son précieux et la plus-value d’une telle démarque n’est pas financière mais uniquement esthétique.
Pour conclure
Grader ses cartes part d’un bon sentiment : cela permet de pouvoir protéger ses cartes avec un boîtier de très bonne qualité (même si, depuis quelque temps, une polémique affirme que les boîtiers des sociétés de grading ne seraient pas tous anti-UV). Cela permet également de lutter contre la falsification et de pouvoir affirmer à quasi 100% que la carte que l’on possède est bien authentique et originale.
On assiste pourtant aujourd’hui à une course aux profits s’accompagnant d’abus pour un système qui, à la base, était pensé de manière vertueuse et qui est aujourd’hui devenu incontrôlable et orienté vers le profit à outrance.
On observe que le grading est encore peu répandu sur Dragon Ball (à mon plus grand bonheur), et presque exclusivement sur les dernières collections sorties aux États-Unis (les Dragon Ball Super Card Game). Cela s’explique en partie par le fait que le marché du grading est encore majoritairement basé sur les collections sorties aux États-Unis (excepté Pokémon) et que l’engouement pour le grading sur les cartes Dragon Ball est assez limité (diffusion tardive à la télévision américaine, entre 1996 et 2003, et la quasi-totalité des collections vintage sont sorties avant cette diffusion). On peut également supposer que certaines collections comme les Super Battle ayant pour spécificité des prismes qui se décollent n’aident pas à grader au plus juste et que des problèmes sur les concepts de peeled ou unpeeled et de sunfade pourraient cristalliser les frustrations.
Cependant, même si les marchés européens et asiatiques ne sont pas aussi développés que le marché américain concernant le grading, ce n’est qu’une question de temps avant que l’ogre Big Four nous rattrape. Une multitude de nouvelles sociétés de gradation européennes et françaises voient régulièrement le jour, preuve d’un engouement certain du public. Là où achat de cartes rimait autrefois avec passion et incertitude, une autre pa$$ion voit le jour : celle du grading, qui prive de plus en plus de collectionneurs et même de joueurs de pouvoir récupérer certaines cartes tant convoitées. Tout doit être millimétré au centimètre près et sans défaut. Le grading marque sûrement la fin de la collection pas chère.
Je terminerai cet article sur cette analogie : doit-on tout noter pour tout contrôler ? Doit-on noter une carte sur des critères définis comme on noterait un citoyen d’un pays ? Plus une carte est abimée et plus la note est basse ? Plus le citoyen ne joue pas le jeu et plus sa note sociale baisse ? Le parallèle est osé mais a le mérite d’exister tant il est troublant et d’actualité.